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Matières et matériaux

Compte rendu du Colloque du 24 mars 2006 intitulé "Matières et matériaux".

Le colloque du 24 mars s'est tenu devant une cinquantaine de personnes et de personnalités, représentant notamment  la communauté architecturale de la région . Il abordait une question de société, « bâtir, habiter, penser ...dans du béton ? » soit une question humaine, éthique, sociale, à décliner à partir d'un matériau, et d'une technique industrielle correspondante. Le choix fait pour tenir ce pari insolite a été de marier, pendant une journée, philosophie et recherche en architecture, en tenant compte aussi du contexte de toute création architecturale, à la fois technique, "politique" et artistique, ce qui impliquait un regard sur l'art. Il s'agissait donc d'un abord unique mais à partir de plusieurs spécialités rarement conjuguées. Le béton a permis un déploiement industriel des techniques de bâtiment traditionnellement artisanales et liées au lieu, qui fournit la pierre et d'autres composantes. L'historien du béton, Cyrille Simonnet, a rappelé les grands traits de cette métamorphose ambiguë, qui généralise l'usage d'un unique matériau, et se soumet à ses humeurs. Or, le béton a ses faiblesses, il "éclate" dès qu'il sèche, et d'autre part, il ne "ruine"  pas, ne vieillit pas. Imitation de la pierre qui dépasse l'original, le béton est une "pétrification" ou un "faire pierre" mégalomaniaque, héritant sans y être préparé des "vertus de la pierre" qui fondent spirituellement la communauté religieuse. François Guery a rappelé le "Tu es Petrus" de l'évangile selon Saint Matthieu, et ses étrangetés : Cefas ( la forme araméenne de Petrus) veut dire rocheux, mais aussi  "premier né", héritier. La pierre est une unité dont l'accumulation permet de franchir le temps des générations successives par le "pierre sur pierre" : mais le béton, ce monolithe inébranlable, le permet-il aussi ? La laideur du béton fait symbole, et donne le sentiment d'un paysage moderne nihiliste, voué à la désespérance : c'est "le béton criminogène" de Jean Paul Dollé, auteur du "Territoire du rien". Ce matériau est "privé de beauté", il représente une absence et une négation. Les artistes et les historiens de l'architecture ont su montrer que l'art sait remonter cette pente : Le Corbusier à la Tourrette notamment, a célébré le bois en laissant son béton, brut de décoffrage, en montrer la trace en négatif, comme le montre Abdelkader Damani à partir de belles images. Tony Garnier également, cet architecte-urbaniste qui a modelé Lyon, a su tirer parti d'un béton vernaculaire, fait de pisé, qui tient à l'épreuve du temps, selon Christian Marcot. La structure de la matière entre en ligne de compte, comme le scientifique Hugo Houben a su le mettre en évidence dans un exposé ambitieux digne d'Hubert Reeves. Marc Bigarnet a illustré l'usage conjugué du béton et de la pierre dans des travaux d'embellissement d'édifices anciens, où le matériau sait se faire oublier au profit de l'oeuvre. Dans sa synthèse, Chris Younès a insisté sur cette relation au sol et au contexte, qui enserre le matériau dans un ensemble habité, et habitable. Cette journée était prévue comme un premier essai, ouvrant à une déclinaison annuelle ou biannuelle, consacrée à unir la recherche en architecture et en philosophie, et à rapprocher de ce fait les établissements d'architecture entre eux, comme le soulignait Vincent Michel, directeur de l'école d'architecture de Grenoble, et récemment élu Président du collège des directeurs. Le béton a donc servi de première pierre dans cette construction, destinée à défier le temps !